L'art du jardin : composition d'un parcours spirituel

Modifié par Estelledurand

Un peu d'histoire…

Il existe une grande diversité dans les formes de jardins japonais, héritées de sa longue histoire.

Remontant aux premiers siècles de notre ère, quelques rares vestiges de "dieux de pierre" (ishi kami), soit anthropomorphiques, soit inspirés de symboles chinois (notamment la tortue) manifestent une des plus anciennes formes de tentative de domestication de l'univers.

Lorsque le bouddhisme, à partir du VIe siècle, s'implante dans l'archipel sous l'appellation de "voie des dieux" (shintô), il se mêle à une mythologie inquiète de la place des êtres, et parmi eux de l'homme, au sein de l'univers. Vénération à la fois des kami (des morts que l'on respecte comme des êtres supérieurs) et des forces de la nature (astres, végétation, mais aussi phénomènes naturels tels que les typhons ou tsunami), le shintô imprègne un art des jardins qui se veut avant tout un art spirituel.

L'art du jardin japonais constitue un syncrétisme qui mêle au shintô d'autres influences. Jusqu'au VIe siècle, on trouve des niwa, espaces purifiés ayant pour vocation de constituer un repos pour les dieux. Après le VIe siècle, l'appropriation de l'espace se mêle à des influences héritées de traditions indiennes et chinoises : on retrouve les montagnes sacrées du bouddhisme, les îles enchantées du taoïsme qui sont le séjour des immortels, avant que n'apparaissent des jardins d'inspiration coréenne. Ce syncrétisme original mêle deux dimensions fondamentales : d'une part, dans les rituels shintô, l'homme s'incline avec respect devant les forces de la nature ; d'autre part, le bouddhisme développe une méditation qui relie tous les êtres, sur la voie du nirvâna, défini comme "l'absorption définitive de l'individu dans l'âme universelle et la disparition du désir". 

C'est dans ce contexte spirituel que le jardin se constitue non pas comme un paysage, mais comme un parcours spirituel, où tout est symbole. Le jardin ne constitue ainsi pas un lieu d'agrément, mais un lieu de médiation, où tout met en jeu le rapport que l'homme entretient à la nature, et au sacré.

L’art du jardin est, en 1289, codifié dans un manuel, le Sakuteiki, qui permet d’en comprendre les principes directeurs. Il accorde une importance particulière aux pierres et roches, qui ne doivent pas seulement être combinées avec les autres éléments du jardin : elles sont considérées comme habitées par des esprits, et le maître doit se montrer capable d'entendre, littéralement, ce qu'elles demandent, pour les disposer là où est leur juste place.

Les jardins zen apparaissent au XIVe siècle, du fait de maîtres jardinistes formés à l'art des symboles, qui redessinent l'espace pour y reconstituer une miniature de l'univers. Le maître jardiniste travaille dans l'épure : s'il s'agit de donner à sentir ce qui échappe aux sens, c'est-à-dire de conférer au jardin une dimension spirituelle conduisant au détachement, cela ne peut se faire qu'avec une économie de moyens, en revenant aux éléments (la pierre, l'eau, l'air, la terre).

Identifier des symboles

À la manière d’un poète, le maître jardinier va concevoir le jardin à partir de sources d’inspiration diverses : une montagne, un cours d’eau, une peinture, un astre…  Dans tous les cas, c'est quelque chose de la nature qui constitue la source d'inspiration de la création.

Cette référence, que le jardinier a en tête, va ensuite aller à la rencontre d’un lieu naturel, en général un étang, autour duquel la géographie du jardin va être construite et dont on respecte la forme naturelle : il est le centre d’un microcosme que le jardinier va reconstruire.

Le jardin n’est pas, à la différence des jardins occidentaux tels que les jardins à la française, d’abord dessiné sur plan puis réalisé : le jardinier le trace à même le sol, in situ, pour créer une harmonie vivante à partir des éléments présents sur place, dans une sorte de respect  religieux de ces éléments.

Quelques principes de composition du jardin :

  • Le jardin est conçu de telle sorte qu'on ne peut jamais en avoir une vue d’ensemble à hauteur d’homme : il doit être arpenté horizontalement (concrètement : on y marche, et ses paysages y dessinent des tableaux composés de telle manière que tout y est pensé). Tout est ainsi composé de manière à élever l’esprit, au gré de la conjonction des symboles qu’on y rencontre.
  • Le principe du yin et du yang est appliqué à sa composition. Un équilibre doit régner entre le yang (principe masculin, par exemple évoqué par les formes anguleuses et dures) et le yin (principe féminin, par exemple évoqué quant à lui par les courbes ou la fluidité) : la géométrie ne procède pas d’une recherche esthétique, mais d'une symbolique des complémentarités.
  • La composition reprend les principes du feng shui  (incorporé dans le syncrétisme japonais de philosophie zen, inspiré de bouddhisme pour ses pratiques méditatives et l’idée d’une permanence des âmes, et de taoïsme), qui signifie littéralement "le vent et l’eau". C’est pourquoi le jardin doit être abrité du vent, bénéficier d’un microclimat et être construit autour d’un point d’eau.
  • La géométrie et les dispositions obéissent à des principes symboliques : il faut éviter de tracer des chemins rectilignes car les mauvais esprits se déplacent en ligne droite ; les éléments sont toujours disposés selon des nombres impairs (3, 5, 7).
  • Le jardin se veut une représentation miniature de l’univers, aussi ses éléments sont-ils des symboles renvoyant à une géographie religieuse. Par exemple, un gros rocher isolé symbolise le mont Shumisen du bouddhisme/le mont Horaï du taoïsme (la montagne des immortels) ; des groupes de rochers symbolisent Bouddha et ses disciples. Cette dimension symbolique applique un procédé de métonymie (la partie représente le tout), qui peut aller jusqu’à une très grande abstraction.
  • Les essences végétales sont choisies tant pour leurs couleurs changeantes au gré des saisons, comme c'est le cas pour les érables ou les cerisiers lorsqu'ils fleurissent au printemps, que pour leur valeur symbolique, tels les pins (symboles de longévité, considérés comme repoussant les mauvais esprits) ou les lotus (symboles de sagesse).
  • L'eau tient une place centrale dans les jardins, qui se constituent autour d'une pièce d'eau stagnante, symbole d'éternité, dans laquelle se reflète l'ensemble des éléments (y compris le ciel), avec des zones d'eau courante symbolisant le flux du temps, en écho à sa matérialisation dans la végétation changeante au gré des saisons. Cet élément reste central même dans les jardins qui ne comportent pas de pièce d'eau, comme dans les jardins secs (karesansui) que l'on trouve dans les temples zen.
  • Les pièces d'eau abritent le poisson emblématique du Japon : les carpes Koï, dont les coloris peuvent être très variés, et qui symbolisent le courage et la persévérance. Nous retrouvons aussi la tortue, inspirant la forme de certaines pierres ou de certaines îles, symbolisant quant à elle la longévité.
  • Des lanternes en pierre (tōrō), issues de la tradition bouddhiste, sont positionnées en des lieux bien précis, où elles symbolisent des offrandes à Bouddha.

Réflexion :

Maintenant que vous disposez de ces quelques indications, reprenez les vues précédentes, et interprétez à nouveau ce que vous y voyez, en montrant comment les jardins sont composés comme un tableau à parcourir du regard, et qui se donne comme une réduction de l'univers, en même temps que comme voie méditative d'accès à son sens.

Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr
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